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A Fécamp (Seine-Maritime), Catel Muller, dite « Catel », habite à 50 mètres de la maison qu’occupa Anita Conti vers la fin de sa vie. Cette proximité géographique suffirait presque à justifier son choix de lui consacrer une biographie, tout voisinage s’avérant inspirant. Ce serait réducteur. Et oublier que la dessinatrice, associée au scénariste José-Louis Bocquet, son mari, par ailleurs, dirige une collection chez Casterman, « Les clandestines de l’histoire », dont la vocation est de raviver la mémoire de femmes remarquables que la postérité a oubliées.
« Remarquable », le mot va bien à celle qui fut la première femme océanographe française. Tour à tour documentaliste, inventrice, résistante, lanceuse d’alerte, photographe, poète et écologiste (avant l’heure), Anita Conti (1899-1997) a vécu l’existence dense et trépidante d’une héroïne romanesque. Retracer sa vie, sous un titre aussi sobre que Anita Conti (Casterman, 368 pages, 24,95 euros), revient aussi à raconter un siècle d’exploration des fonds marins, d’innovation halieutique et d’émancipation féminine.
Quand elle s’est installée à Fécamp, il y a une quinzaine d’années, Catel ne savait quasiment rien d’Anita Conti. Peint sur la coque d’un bateau-école ou sur la façade d’un lycée, son nom résonnait encore très fort sur les pontons de l’ancien port morutier, d’où elle partit pour des campagnes de pêche à destination de Terre-Neuve.
L’illustratrice a commencé à peindre des petits portraits d’elle sur des carnets Moleskine, avant d’en réaliser de plus grands pour les besoins d’un documentaire télévisé. L’évidence s’est alors imposée : relater le parcours de ce personnage « incroyable qui s’est libéré de ses chaînes à une époque où les femmes n’avaient pas le droit de vote, donc pas le droit d’existence, et même pas le droit de monter sur un bateau, sauf à demander des autorisations insensées », détaille-t-elle dans son atelier, une ancienne fabrique où l’on réduisait les galets en poudre, matériau servant autrefois à la consolidation des voiries ou à l’industrie cosmétique.
Comme ils le font pour chacun de leurs biopics, Catel et Bocquet ont mené un long travail de documentation avant de noircir la moindre page blanche. Leur principale source fut le fils adoptif d’Anita Conti, le plasticien Laurent Girault-Conti, qui gère les archives de « la dame de la mer », comme on l’appelle encore dans le pays de Caux. La matière s’est vite avérée foisonnante.
Née dans un milieu bourgeois désargenté, mariée à un diplomate dont elle s’éloignera d’un commun accord sans toutefois divorcer, Anita Conti ne fut pas seulement une relieuse d’art (son premier métier) qui fit de sa passion, la mer, un sujet d’étude. L’autodidacte alarma aussi sur les dangers de la surpêche, participa à des opérations de déminage pendant la seconde guerre mondiale, installa des pêcheries en Afrique, se lança dans l’aquaculture, croisa la route de Cocteau, Mac Orlan, Giraudoux, Cousteau… A bord de harenguiers ou de bâtiments militaires, elle n’a cessé de partager le quotidien d’équipages exclusivement masculins, bravant la superstition selon laquelle une femme porte malheur sur une embarcation.
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